Fonctions réglées

L'intégrale de Riemann se généralise facilement aux fonctions à valeurs dans ℝn, mais non aux fonctions à valeurs dans un espace de Banach F quelconque. Nous définissons ici une classe de fonctions pour lesquelles il est facile de définir l'intégrale définie sur un intervalle compact de ℝ.
La notion d'intégrale ainsi définie est suffisante pour de nombreuses applications en calcul différentiel. Pour des cas plus complexes, quand la nécessité se fait sentir, pas d'autre recours que la théorie de Borel-Lebesgue.

Fonctions en escalier

Dans toute cette page F désigne un espace de Banach sur un corps K.
Soit $\overline{\mathbb{R}}$ la droite réelle achevée.
a et b sont des symboles désignant deux éléments de $\overline{\mathbb{R}}$ vérifiant a<b et soit I un intervalle de ℝ d'origine a et d'extrémité b.

Une subdivision de I consiste en la donnée d'une suite finie croissante (xi)0≤i≤n de points de $\overline{I}$, adhérence de I dans $\overline{\mathbb{R}}$, telle que x0=a et xn=b.

Soit I un intervalle, x=(xi) et y=(yj) deux subdivisions de I. On dit que y est plus fine que x si x est inclus dans y au sens ensembliste, c'est à dire si chaque xi est un yj.

La relation ainsi définie est clairement une relation d'ordre.

Si x=(xi) et y=(yj) sont deux subdivisions du même intervalle I, il existe toujours une subdivision z=(zk) de I plus fine que x et y.

Il suffit en effet de prendre la réunion des points de x avec les points de y et de réordonner cet ensemble de points. z se note x∨y, et peut être considéré comme la borne supérieure de x et y dans la mesure où z est la moins fine des subdivisions qui sont plus fines que x et y.

Soit f une application de I dans F. On dit que f est une fonction en escalier sur I. S'il existe une subdivision (xi) de I, telle que f soit constante sur chacun des intervalles ]xi,xi+1[.

Remarque 1: On ne fait, dans cette définition, aucune hypothèse particulière sur les valeurs de f en chacun des points xi (1≤i≤n).
Remarque 2: La définition d'une fonction en escalier fait intervenir une subdivision qui à l'évidence n'est pas unique. Si f est en escalier relativement à la subdivision x alors f est en escalier relativement à toute subdivision plus fine que x.

Les fonctions en escalier sur I et à valeurs dans F, forment un sous-espace vectoriel de FI.
Il est clair que si f est en escalier sur I il en est de même de αf pour tout scalaire α de K. Si f et g sont en escalier relativement à la même subdivision x, alors il est clair que f+g est également en escalier relativement à la même subdivision x. Dans le cas général si f est en escalier relativement à x et g en escalier relativement à y et si z=x∨y alors f et g sont toutes deux en escalier relativement à z, donc il en est de même de f+g.

Fonctions réglées

Si f est une application , f: I → F et si x∈I distinct de b, on dit que f a une limite à droite en x si $\lim_{y\rightarrow x,y\in I,y> x}f(y)$ existe. cette limite se note alors f(x+).

De la même façon, pour tout point x de I, x≠a on définit la limite à gauche de f en x, $f(x-)=\lim_{y\rightarrow x,y\in I,y< x}f(y)$

On dit que f: I→F est une fonction réglée si elle admet en tout point une limite à droite et une limite à gauche.

Le théorème ci-dessous fournit une caractérisation des applications réglées dans le cas où I est un intervalle compact.

Pour qu'une application f d'un intervalle compact I=[a,b] dans F soit réglée, il faut et il suffit que f soit limite d'une suite uniformément convergente de fonctions en escalier.

Condition nécessaire :

Pour tout entier n, et tout x∈I, il existe un intervalle ouvert V(x)=]y(x),z(x)[ contenant x, tel que ||f(s)-f(t)||≤1/n si s et t sont tous deux dans ]y(x),x[∩I ou bien tous deux dans ]x,z(x)[∩I.
Recouvrons I par un nombre fini d'intervalles V(xi), et soit (cj)0≤j≤m la subdivision de I formée des points a,b, xi,y(xi),z(xi).
Comme chaque cj est dans quelque V(xi), ou bien cj+1 se trouve dans le même V(xi) ou bien cj+1=z(xi) pour j≤m-1.
En d'autres termes, si s,t sont tous deux dans le même intervalle ]cj,cj+1[ alors ||f(s)-f(t)||≤1/n. Soit alors gn la fonction en escalier égale à f aux points cj et aux points milieux de chacun des intervalles ]cj,cj+1[ et constante dans chacun de ces intervalles. il est clair que ||f-gn||≤1/n

Condition suffisante :

Supposons que f soit la limite uniforme d'une suite (fn) de fonctions en escalier. Pour tout ε>0 il existe un entier n tel que ||f-fn||≤ε/3. mais pour tout x∈I, il existe un intervalle ]c,d[ contenant x tel que ||fn(s)-fn(t)||≤ε/3 lorsque s et t sont tous deux dans ]c,x[ ou tous deux dans ]x,d[.
Par suite, sous la même hypothèse, on a ||f(s)-f(t)||≤ε ce qui démontre l'existence des limites à droite et à gauche de f en x puisque F est complet d'après ce résultat.

Le résultat précédent peut également être exprimé de la façon suivante :

L'ensemble des fonctions réglées est fermé dans $\mathfrak{B}_{F}(E)$ et l'ensemble des fonctions en escalier est dense dans l'ensemble des fonctions réglées.

Exemples

Les résultats qui suivent fournissent de nombreux exemples de fonctions réglées.

Toute application continue d'un intervalle I⊆ℝ dans un espace de Banach est réglée ; il en est de même d'une application monotone de I dans ℝ.

Cela résulte de la caractérisation des application réglées, de la définition de la continuité et des propriétés des applications monotones relatives aux limites à droite et à gauche.

Une application définie sur un intervalle compact I est dite continue par morceaux sur I s'il existe une subdivision (xi)0≤i≤n de I telle que :

  • f soit continue sur chaque sous-intervalle ]xi,xi+1[ de I.
  • f soit prolongeable par continuité à [xi,xi+1] pour tout i (0≤i≤n-1).

Il résulte de ce qui précède que :

Les fonctions continues par morceaux sur un intervalle compact sont réglées.

Intégrales définies sur un intervalle compact

I désigne ici un intervalle compact, I=[a,b], a∈ℝ, b∈ℝ.

Soit f une fonction en escalier sur I, relativement à une subdivision x. l'intégrale de f sur I est le vecteur de F ainsi défini :
$$\int_{a}^{b}f(t)dt=\sum_{i=0}^{n-1} \left ( x_{i+1}-x_{i} \right )f\left ( \frac{x_{i}+x_{i+1}}{2} \right )$$

L'intégrale d'une fonction en escalier sur I ne dépend pas de la subdivision x impliquée dans la définition de f.
En effet si f est en escalier relativement à x et si z est plus fine que f, l'intégrale de f sur I est la même qu'elle soit définie au moyen de x ou de z. Si maintenant x et y sont deux subdivisions pour lesquelles f est en escalier et si z=x∨y, alors l'intégrale de f définie au moyen de x, et l'intégrale de f définie au moyen de y sont toutes deux égales à l'intégrale de f définie au moyen de z.

L'application $$f \rightarrow \int_{a}^{b}f(t)dt$$
est une application linéaire continue de l'espace $\mathfrak{E}_{F}(I)$ de toutes les fonctions en escalier sur I dans l'espace F.
$$\int_{a}^{b}(\alpha f)(t)dt=\alpha \int_{a}^{b}f(t)dt$$ est une évidence.
$$\int_{a}^{b}(f+g)(t)dt=\int_{a}^{b}f(t)dt+\int_{a}^{b}g(t)dt$$ est évidente quand f et g sont définies relativement à la même subdivision de I.
dans le cas contraire si f est définie relativement à x et g relativement à y, il suffit d'introduire z=x∨y.
La continuité de l'application résulte du fait que
$$\left \| \int_{a}^{b} f(t)dt\right \|\leqslant \left \| f \right \|.\left | b-a \right |$$
la norme devant être comprise comme celle de $\mathfrak{B}_{F}(I)$ (norme du sup).

Il existe une application linéaire continue
$$f \rightarrow \int_{a}^{b}f(t)dt$$ de l'espace des fonctions réglées sur I dans l'espace vectoriel F, coïncidant avec l'intégrale définie lorsque f est en escalier sur I. Cette application est encore nommée intégrale définie de f sur I.
En outre pour toute suite fn de fonctions en escalier convergeant uniformément vers f on a :
$$\int_{a}^{b}f(t)dt=\lim_{n\rightarrow \infty }\int_{a}^{b}f_{ n}(t)dt$$
et en outre :
$$\left \| \int_{a}^{b} f(t)dt\right \|\leqslant \left \| f \right \|.\left | b-a \right |$$
Il suffit d'appliquer ce théorème de prolongement, et la densité de l'espace des fonctions en escalier dans l'espace des fonctions réglées vue plus haut.

Il résulte des définitions que dans le cas où F=ℝ si f est réglée, alors f est intégrable au sens de Riemann et les deux intégrales coïncident puisqu'elles coïncident sur un sous-ensemble dense.
Cependant il existe des fonctions intégrables au sens de Riemann et non réglées (voir cet exercice).

Exercices

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