Espaces d'applications multilinéaires continues

Nous rappelons un résultat d'algèbre élémentaire. Soient E et F deux espaces normés ; l'ensemble des applications linéaires continues de E dans F est muni d'une structure d'espace vectoriel, cet espace est noté $\mathfrak{L}$(E;F). Dans le cas où F=E l'espace $\mathfrak{L}$(E;E) se note le plus souvent $\mathfrak{L}$(E).

Soit maintenant u∈$\mathfrak{L}$(E;F) alors d'après cette page il existe des constantes positives a telles que ||u(x)||≤a||x||. Par définition nous appelons norme de u et nous notons ||u|| la borne inférieure de ces constantes.

La norme d'une application linéaire continue peut être caractérisée de diverses manières ; soit B' la boule unité fermée de rayon 1 dans E et S la sphère de rayon 1 dans E.

Si u∈$\mathfrak{L}$(E;F) alors on a : $$\left \| u \right \|=\sup_{x\in B'}\left \| u(x) \right \|=\sup_{x\in S}\left \| u(x) \right \|$$
En effet, par définition pour tout x∈B' on a ||u(x)||≤||u||.||x||≤||u||. Il en résulte que Supx∈B'||u(x)||≤||u||.
Si ||u||>0 et si 0<b<||u||, il existe un x∈E tel que ||u(x)||>b||x|| ce qui implique en particulier que x≠0. Posant z=x/||x|||, il vient ||u(z)||>b et comme z∈S⊆B' on a b≤Supx∈B'||u(x)||. Cette inégalité étant vérifiée ∀b tel que 0<b<||u|| on a aussi ||u||≤Supx∈B'||u(x)|| et donc l'égalité.
Compte tenu des propriétés des normes et de celles des applications linéaires il est clair que $\sup_{x\in B'}\left \| x \right \|=\sup_{x\in S}\left \| x \right \|$, d'où notre proposition.

u→||u|| est une norme sur l'espace $\mathfrak{L}$(E;F).
||u|| est toujours un nombre positif et ||u||=0⇔u=0. On vérifie également que ||λu||=|λ|.||u||. Enfin si w=u+v on la relation ||w||≤||u||+||v|| résulte de la définition de la norme et de l'inégalité triangulaire ||w(x)||≤||u(x)||+||v(x)||.

Si F est complet, il en est de même de l'espace normé $\mathfrak{L}$(E;F).
Soit en effet (un) une suite de Cauchy dans $\mathfrak{L}$(E;F). Pour tout ε>0 il existe donc n0, tel que ||um-un||≤ε pour m,n≥no. Par suite (un(x)) est une suite de Cauchy pour tout x vérifiant ||x||≤1, donc converge vers un élément v(x)∈F. Ceci reste vrai pour tout x puisqu'on peut écrire x=λz avec ||z||≤1, donc par linéarité un(x)=λun(z) tend vers une limite v(x)=λv(z). De la relation un(x+y)=un(x)+un(y) il résulte par passage à la limite que v(x+y)=v(x)+v(y), et de la même façon v(λx)=λv(x) et v est linéaire.
De ||um(x)-un(x)|| ≤ε pour m,n≥n0, on déduit ||v(x)-un(x)||≤ε pour tout x tel que ||x||≤1 et donc ||v(x)||≤||un||+ε , ce qui prouve la continuité de v. De plus on a ||v-un||≤ε pour n≥n0, ce qui prouve que la suite (un) converge vers v dans $\mathfrak{L}$(E;F).

De la définition il résulte que pour tout x∈E et tout u∈$\mathfrak{L}$(E;F), on a ||u(x)||≤||u||.||x||, ce qui prouve que:

L'application bilinéaire (x,u)→u(x) de E×$\mathfrak{L}$(E;F) dans F est continue d'après la caractérisation des applications multilinéaires continues.

La définition de la norme dans $\mathfrak{L}$(E;F) dépend des normes dans E et dans F, mais il est facile de voir que lorsqu'on remplace les normes de E et F par des normes équivalentes, la nouvelle norme sur $\mathfrak{L}$(E;F) est équivalente à l'ancienne.

Soient E F et G trois espaces normés, u une application linéaire continue de E dans F, v une aplication linéaire continue de F dans G, alors vou, qui est continue comme composée de deux applications continues et linéaire comme composée de deux applications linéaires, vérifie ||vou||≤||v||.|u||. En particulier dans le cas où E=F=G on voit que $\mathfrak{L}$(E) est une algèbre de Banach.
En effet si ||x||≤1 nous avons ||v(u(x))||≤||v||.||u(x)||≤||v||.||u||.

K désigne le corps $\mathbb{R}$ ou le corps $\mathbb{C}$, F un espace vectoriel normé sur le corps K. A tout vecteur a de F nous associons l'application linéaire θa:λ→λa de $\mathfrak{L}$(K,F) ; alors a→θa est une isométrie linéaire de F sur $\mathfrak{L}$(K;F).
L'application a→θa est évidemment linéaire ; elle est surjective car toute toute application linéaire u de K dans F est de la forme u(λ)=λu(1). Enfin $$||\theta _{a}||=\sup_{\lambda \leq 1}||\lambda a||=||a||$$.

 

L'appliquette suivante représente une application linéaire de ℝ2 dans ℝ2.

  • Le vecteur u tracé en vert représente l'image de i=(1,0).
  • Le vecteur v tracé en vert aussi représente l'image de j=(0,1).
  • La matrice M de type(2,2) à gauche représente la matrice de l'application linéaire par rapport à la base canonique de ℝ2.
  • Les vecteurs u et v représentent donc les colonnes de la matrice.
  • Vous pouvez faire varier ces deux vecteurs en attrapant leur extrémité avec la souris par un tirer-déplacer (drag'n drop).
  • La matrice est mise à jour au cours de cette opération.
  • Sa norme apparaît dans la case à côté à droite de la matrice.
  • L'ellipse tracée en jaune est l'image du cercle unité.
  • La norme de M correspond à la plus grande norme des vecteurs de l'ellipse.
  • Le rayon de l'ellipse se place automatiquement dans la direction du plus grand axe.
  • La norme de M est donc la longueur de ce rayon.
 

Soient maintenant E1,...,En, F n+1 espaces normés et désignons par $\mathfrak{L}$(E1,...,En;F) l'espace vectoriel de toutes les applications multilinéaires continues de E1×...×En dans F.

En raisonnant comme précédemment nous avons :

Pour u∈$\mathfrak{L}$(E1,...,En;F), la borne inférieure ||u|| de toutes les constantes a>0 telles que
||u(x1,...,xn)||≤a||x1||...||xn|| est encore donnée par : $$||u||=\sup_{||x_{1}||\leq 1,...,||x_{n}||\leq 1}||u(x_{1},...,x_{n})||=\sup_{||x_{1}||=1,...,||x_{n}||= 1}||u(x_{1},...,x_{n})||$$ et ||u|| est une norme sur $\mathfrak{L}$(E1,...,En;F).

Le théorème suivant prouve que les espaces $\mathfrak{L}$(E1,...,En;F) peuvent être réduits à des espaces d'applications linéaires continues :

Pour toute u∈$\mathfrak{L}$(E,F;G), soit ux l'application linéaire y→u(x,y). Alors $\tilde {u}:x \rightarrow u_{x}$ est une application linéaire continue de E dans $\mathfrak{L}$(F;G) et l'application $u\rightarrow \tilde {u}$ est une isométrie linéaire de $\mathfrak{L}$(E,F;G) sur $\mathfrak{L}$(E;$\mathfrak{L}$(F;G)).
On a ||ux(y)||=||u(x,y)||≤||u||.||x||.||y||, donc ux est continue.
De plus, $||u_{x}||= \sup_{||y||\leq 1}||u(x,y)||$ .
D'où nous tirons $\sup_{||x||\leq 1}||u_{x}||=\sup_{||x||\leq 1,||y||\leq 1}||u(x,y)||=|u||$ .
Ce qui prouve que x→ux qui est évidemment linéaire est aussi continue et que $u\rightarrow \tilde {u}$ est une isométrie de $\mathfrak{L}$(E,F;G) dans $\mathfrak{L}$(E;$\mathfrak{L}$(F;G)).
Enfin $u\rightarrow \tilde {u}$ est surjective car si v∈$\mathfrak{L}$(E;$\mathfrak{L}$(F;G)), alors u:(x,y)→(v(x))(y) est évidemment bilinéaire, et comme $$||(v(x))(y)||\leq ||v(x)||.||y||\leq ||v||.||x||.||y||$$ u est continue et v(x)=ux, ce qui achève la démonstration.

Par récurrence sur n, il en résulte que $\mathfrak{L}$(E1,...,En;F) peut être identifié de façon naturelle avec conservation de la norme à $\mathfrak{L}$(E1;$\mathfrak{L}$(E2;...;$\mathfrak{L}$(En,F)...)). Ces identifications seront largement utilisées en calcul différentiel dans la théorie de la dérivation d'ordre supérieur.

Exercices

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