Continuité

Cette page est certainement la plus importante de ce chapitre consacré aux espaces métriques et topologiques, qui sont des notions précisément développées pour étendre la notion de continuité 'à la (ε,η) telle que nous la connaissons maintenant pour les fonctions d'une variable réelle.

Nous encourageons vivement le lecteur intéressé à se documenter sur l'évolution de la notion de continuité à partir des points de vue de Léonard Euler, Louis-Augustin Cauchy et Bernard Bolzano qui est sans doute le premier à formuler de façon correcte ce concept pour les fonctions réelles au début du 19° siècle.

Il est naturel, d'un point de vue strictement pédagogique, de commencer par traiter le cas des espaces métriques, puis de généraliser aux espaces topologiques généraux en se basant sur les formulations ne faisant pas intervenir directement les distances, mais seulement les voisinages et les ouverts.

Comme dans le cas de la variable réelle, il existe une notion de continuité locale (la continuité en un point) et une notion globale (la continuité sur tout un domaine). Cependant il est remarquable que des définitions globales puissent être données sans passer par la notion locale. Encore une fois la pédagogie conseille de traiter d'abord la continuité en un point.

Cas des espaces métriques

Dans tout ce paragraphe (E,d) et (E',d') sont deux espaces métriques et f désigne une application f:E→E'.

Nous généralisons donc la définition 'classique' de la continuité en un point des fonctions d'une variable réelle.

On dit que f est continue en x0∈E si pour tout réel ε>0 il existe un réel η>0 tel que d(x,x0)<η⇒d'(f(x),f(x0))<η

On voit donc que la continuité des fonctions réelles apparaît alors comme un cas particulier de cette définition quand E=E'=$\mathbb{R}$ et d=d' est la métrique usuelle sur $\mathbb{R}$.

On ne le fera jamais assez remarquer, le nombre η dans cette définition, et qui n'est évidemment pas unique, dépend du nombre ε de sorte qu'en toute logique il devrait être noté η(ε) mais on respectera la tradition pour ne pas alourdir exagérément les notations. En outre la continuité locale, ainsi exprimée, est vérifiée dès qu'elle l'est pour les valeurs de ε 'suffisamment petites' (inférieures à une valeur donnée).

Le lecteur s'assurera, c'est extrêmement simple, que la propriété suivante assure que cette définition locale peut être remplacée par une autre qui lui est strictement équivalente, mais pour laquelle les distances d et d' sont sous-jacentes, c'est à dire n'interviennent que par les topologies qu'elles définissent.

f est continue en x0 si et seulement si :
Pour tout voisinage V' de f(x0) dans E', f-1(V') est un voisinage de x0 dans E.

Quelques exemples simples

  • Toute application constante est continue.
  • Si E'=F est une partie de E muni de la métrique induite l'injection naturelle jF:F→E x→jF(x)=x est continue comme on le voit sur la définition des sous-espaces métriques.
  • Si E est un espace métrique quelconque et si F est une partie de E, l'application f:x→d(x,F) est continue.
  • E étant un espace métrique quelconque et A et B étant deux points de E, un chemin ou un arc joignant A à B consiste en la donnée d'une application continue :
    $$\varphi :I=[a,b]\rightarrow E \text{ telle que a>b et } \varphi (a)=A \text{ et } \varphi (b)=B$$

Maintenant, pour ce qui concerne les contre-exemples, nous supposons le lecteur suffisamment familiarisé avec les fonctions d'une variable réelle pour se convaincre qu'il existe, dans ce cas simple, de nombreuses fonctions non continues. De fait il est possible en se basant sur des arguments de cardinalité, de montrer qu'en général, les applications continues ne constituent qu'une infime minorité de l'ensemble de toutes les applications, mais ce sont les seules applications vraiment intéressantes du point de vue de l'analyse, ce qui fait qu'en pratique on ne manipule la plupart du temps que de telles fonctions.

L'énoncé suivant relie la notion de continuité à celle d'adhérence.

Si x0 est un point adhérent à un ensemble A⊆E et si f est continue en x0 alors f(x0) est adhérent à f(A).
En effet si V' est un voisinage de f(x0) dans E', f-1(V') est un voisinage de x0 dans E. Il existe donc y∈A∩f-1(V'), et par suite f(y)∈f(A)∩V'.

Nous abordons maintenant la continuité globale :

La fonction f:E→E' est dite continue sur E (ou tout simplement continue) si elle est continue en chaque point de E.

Le résultat suivant donne de multiples propriétés caractéristiques de la continuité globale et sera très utile pour l'extension de la notion aux espaces topologiques généraux.

Soit f une application de E dans E'. Les propriétés suivantes sont équivalentes:

  1. f est continue.
  2. Pour tout sous-ensemble ouvert A' dans E', f(A') est un ensemble ouvert dans E.
  3. Pour tout sous-ensemble fermé A' dans E', f(A') est un ensemble fermé dans E.
  4. Pour tout sous-ensemble A de E, $f(\overline{A}) ⊆ \overline{f(A)}$.

Nous avons vu juste au-dessus que 1.⇒4. Or 4.⇒.3 car si A' est fermé et si A=f-1(A'), alors $f(\overline{A})⊆\overline{A'}=A'$ donc $\overline{A}⊆f^{-1}(A')=A$ comme $A⊆\overline{A}$ A est fermé. 2. et .3 sont manifestement équivalents par passage aux complèmentaires en vertu de la définition des fermés. Enfin 2.⇒1. car si V' est un voisinage de f(x0), il existe un voisinage ouvert W'⊆V' de f(x0) ; f-1(W') est un ensemble ouvert contenant x0 et contenu dans f-1(V'), donc f est continue en chaque point x0.

NB: l'image directe d'un ensemble ouvert(resp. fermé) n'est pas, en général un ensemble ouvert (resp. fermé) ; par exemple f:x→x2 est continue dans $\mathbb{R}$, mais l'image de l'ouvert ]-1;+1[ qui est [0,1[ n'est pas un ensemble ouvert.

L'énoncé qui suit exprime la stabilité de la notion de continuité pour l'opération de composition.

Soient (E,d),(E',d'),(E",d") trois espaces métriques. f:E→E' et g:E'→E" deux applications. $h=g\circ f:E→E"$ la composée des deux.
Si f est continue en x0 et si g est continue en y0=f(x0) alors $g \circ f$ est contenue en x0.
Si f est continue sur E et g continue sur E' alors $g \circ f$ est continue sur E.
La seconde partie de la proposition est la conséquence directe de la première. Soit W un voisinage de g(y0) alors g-1(W'') est un voisinage de y0 dans E' et $f^{-1}(g^{-1}(W''))$ est un voisinage de x0 dans E ; mais $f^{-1}(g^{-1}(W''))=h^{-1}(W'')$.

Dans la définition d'un chemin comme ci-dessus on peut toujours supposer a=0 et b=1.
L'application t : a+t(b-a) est une application continue de [0,1] sur [a,b], l'image de 0 par cette application est a et l'image de 1 est b. Il suffit donc de composer.

Généralisation aux espaces topologiques

Nous prendrons comme définition de la continuité locale la première propriété de la continuité ne faisant pas intervenir la notion de distance.

Soient (E,$\mathfrak{T}$) et (E',$\mathfrak{T'}$) deux espaces topologiques, f:E→E' une application de E dans E' et x0 un point de E ; nous posons y0=f(x0). On dit que f est continue en x0 si l'image réciproque par f de tout voisinage de y0 est un voisinage de x0. Enfin on dira que f est continue sur E tout entier (ou plus simplement continue si elle est continue en tout point de E.

Les quatre caractérisations des fonctions globalement continues restent valables avec une démonstration analogue pour les fonctions continues d'un espace topologique dans un autre. Reste également valable le théorème sur l'image directe de l'adhérence d'une partie ainsi que sur le côté héréditaire de la continuité par composition.

Quelques exemples

  1. Si $\mathfrak{T}$ est la topologie discrète sur E, alors toute application f:(E,$\mathfrak{T}$)→(E',$\mathfrak{T'}$) est continue.
  2. Si $\mathfrak{T'}$ est la topologie grossière sur E, alors toute application f:(E,$\mathfrak{T}$)→(E',$\mathfrak{T'}$) est continue.
  3. Comme dans le cas des espaces métriques toute application constante d'un espace topologique dans un autre est continue.
  4. Comme dans le cas des espaces métriques si F est une partie de E, muni de la topologie induite par celle de E, alors l'injection canonique jF:F→E est continue.

Continuité sur un sous-espace

f:(E,$\mathfrak{T}$)→(E',$\mathfrak{T'}$) une application quelconque. Si F est une partie quelconque de E on peut considérer la restriction de f à F f|F:F→E' caractérisée par f|F(x)=f(x) ∀x∈F.

De la même façon si f prend ses valeurs dans un sous-ensemble F' de E' on peut considérer la corestriction de f à F' définie comme fonction de (E,$\mathfrak{T}$) dans l'espace topologique F' muni de la topologie induite par celle de F.

La démonstration du résultat suivant ne fait appel qu'aux définitions :

Pour toute fonction continue f:(E,$\mathfrak{T}$)→(E',$\mathfrak{T'}$), restrictions et corestrictions demeurent continues.

Nous nous penchons maintenant sur le problème réciproque, c'est à dire induire une propriété de continuité globale à partir de propriété de continuité sur des sous-espaces.

Soient (E,$\mathfrak{T}$) et (E',$\mathfrak{T'}$) deux espaces topologiques et soit F une partie de E considéré comme espace topologique avec la topologie induite par celle de E. Si φF→E' est une application continue, nous appelons prolongement continu de φ toute application continue f:E→E' dont la restriction à F est φ.

Le problème du prolongement est un problème récurrent en analyse, spécialement quand F est une partie dense.

Voyons maintenant comment une continuité globale peut-être construite à partir de continuités partielles.

Le résultat suivant est évident :

Si l'espace E est muni d'un recouvrement ouvert (Eλ)λ∈L et si f est une application f:(E,$\mathfrak{T}$)→(E',$\mathfrak{T'}$) telle que la restriction de f à chacun des ouverts Eλ est continue, alors f est continue sur E.

Mais le théorème n'est plus vrai si les Eλ ne sont plus des ouverts, comme le montre l'exemple suivant. Prenons la fonction caractéristique de l'ensemble des rationnels Χ($\mathbb{Q}$) (fonction de Dirichlet) prenant la valeur 1 sur tout rationnel et 0 sur tout irrationnel. La restriction de cette fonction à $\mathbb{Q}$ est constante donc continue et il en est de même de sa restriction à $\mathbb{R}$-$\mathbb{Q}$, mais considérée comme fonction définie sur $\mathbb{R}$ cette fonction n'est continue en aucun point. De fait le seul prolongement continu d'une fonction constante sur $\mathbb{Q}$ est une fonction constante.

Continuité uniforme

Ce point concerne exclusivement les espaces métriques. Il arrive que la notion de continuité ne soit pas assez forte pour être héréditaire par certains processus courants de l'analyse comme les passages à la limite. On éprouve donc le besoin de renforcer les hypothèses. La notion introduite ici n'a cependant aucun équivalent dans la théorie des espaces topologiques généraux.

Soient (E,d) et (E',d') deux espaces métriques et f:E→E' une fonction de E dans E'. On dit que f est uniformément continue si ∀ε>0 il existe η>0 tel que
d(x,y)<η⇒d'(f(x),f(y))<ε.

La différence essentielle avec la continuité usuelle sur les espaces métriques est que le η ne dépend que de ε (et non pas de chaque point particulier x0). C'est donc une propriété plus forte.

Toute fonction uniformément continue sur E est continue sur E.

Par exemple, si A est une partie quelconque d'un espace métrique E la fonction f(x)=d(x,A) à valeurs réelles est uniformément continue.

La fonction x:→x² est uniformément continue sur tout intervalle compact, mais n'est pas uniformément continue sur $\mathbb{R}$.

On a également le résultat suivant:

La composée de deux applications uniformément continue est encore uniformément continue.

Exercices

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